lundi, juin 20, 2005

desinformation

Le grand public n'a véritablement découvert l'existence de « l'action d'influence » que vers les années 1980, et il ne connaissait guère jusqu'alors que la propagande, massivement utilisée durant la seconde Guerre Mondiale. Pourtant, les militaires, et plus particulièrement les services de renseignement, pratiquent cet art depuis des millénaires. Aujourd'hui, la multiplicité des moyens de communication a entraîné une véritable explosion de l'action d'influence et de désinformation. Cette facette de l'action clandestine connaît depuis quelques années un extraordinaire développement. Du livre à la télévision, en passant par la presse écrite et les manifestations publiques, on identifie dans tous les médias des tentatives d'influence de l'opinion publique. Les motifs et les auteurs de ces actions sont multiples et variés, et les services spéciaux n'en détiennent plus le monopole. Une importante part de vos opinions sur toutes choses, vos goûts, vos dépenses quotidiennes sont orientés par des groupes de pressions et des intérêts qui agissent de plus en plus souvent masqués. La subtilité qui caractérise ces types d'actions les rendent invisibles aux yeux des non initiés, c'est à dire à plus de 90% de la population... Explications.

Etes vous certain de ne pas être influencé ? Nous allons nous en assurer en commençant par une première démonstration simple et brève.
Quel est votre peintre préféré ? Alors que nous ne sommes pas censé le savoir et qu'il existe de très nombreux virtuoses des arts picturaux ayant vécu à différentes époques, nous savons pourtant qu'il y a de grandes chances pour que votre artiste préféré soit Van Gogh ou Picasso ; peut-être même les deux...
Etes vous pour ou contre la peine de mort ? Vous êtes contre, bien sûr...
Pensez vous que l'argent fait le bonheur ? Non, bien entendu...

A priori, de bonnes réponses à ces trois devinettes ne semblent pas réclamer une grande perspicacité. Pourtant les véritables motivations qui justifient ces choix échappent à la plupart, ainsi que vous l'allez constater maintenant.

Après la seconde Guerre Mondiale, les autorités américaines ont favorisé une vaste promotion des artistes de leur pays, de Calder à Andy Warhol en passant par Roy Lichenstein ; ceci parce que ce pays a pris conscience de l'impérieuse nécessité d'un patrimoine artistique dont le cinéma -considéré comme une activité commerciale aux USA et non comme un art- n'était pas tenu pour partie constituante. En maîtres du marketing -qu'ils ont d'ailleurs inventé- les américains avaient compris que les canons de l'art les plus récents étaient exclusivement européens, et remontaient essentiellement au XIXe siècle (époque des premiers paysagistes de l'école de Barbizon, et impressionnistes). Et encore, les peintres de la période impressionniste n'intéressaient ils qu'un public très restreint à cette époque, lors de laquelle les canons populaires étaient majoritairement représentés par les artistes de la renaissance pour la peinture et la sculpture. Ceux de la période comprise entre le XVIIe et XIXe siècle représentaient le meilleur de la musique.
Or on sait que le public a naturellement soif de nouveauté et que l'individu, malgré son besoin d'appartenance et d'identification à un groupe, et toujours en quête de son individualité. Se faire grand admirateur de Calder à une époque lors de laquelle on ne jurait que par la Joconde garantissait une certaine originalité propre à intriguer ou choquer ; peu importe pour peu que l'on se distingue. L'égo, toujours...
Pleinement informé et conscient de cette offensive culturelle qui plaçait les américains comme les successeurs des grands artistes du monde, les français réagirent vigoureusement. En 1958, année de la création de la Ve République et de la prise du pouvoir par le général de Gaulle, André Malraux fut chargé de riposter et de créer un Ministère de la culture. Il n'était pas pensable que l'art français se soit arrêté avec la monarchie. Rappelons qu'avant cette date le Ministère de la culture n'existait pas, et que le patrimoine culturel français ne comptait guère pour le représenter que sur un sous-secrétariat d'état aux beaux arts totalement désargenté, et employant une poignée de fonctionnaires. André Malraux et le général de Gaulle se mirent donc à assister régulièrement aux premières de l'Opéra de Paris. Le Centre Nationale de la Cinématographie (CNC) qui dépendait alors du Ministère de l'industrie et du Commerce fut rattaché au nouveau Ministère de la Culture.
Plus inspiré par l'art khmer que par l'art contemporain, Malraux progressa à tâtons pour trouver des artistes français à promouvoir. A ce propos comment passer à coté de cette croustillante anecdote extraite de Le pouvoir culturelle sous la Ve République de Pierre Cabanne.
"Tinguely, alors inconnu, présentait sur le parvis du musée d'art moderne son "Metamatic", machine à peindre et à dessiner "abstrait". Malraux s'approche, demande des explications ; l'artiste, très ému, met en marche sa machine; on guette les réactions du ministre visiblement amusé, et intrigué : Que puis-je faire pour vous ? Demande t'il à Tinguely qui, bredouillant, ne trouve à répliquer qu'un : mais je suis suisse. Alors Malraux : "dommage !". Et il s'en alla"
C'est finalement sur Picasso qu'André Malraux jeta son dévolu, et l'artiste fit, à partir de ce moment là, l'objet d'une intensive promotion gouvernementale jusqu'à ce qu'il fut universellement entendu que cet artiste était un génie.
Autre anecdote croustillante : Picasso resta à jamais déçu de n'avoir jamais vu une seule fois Malraux à l'un de ses vernissages...
Van Gogh, quand à lui, doit en grande partie son actuelle notoriété à Jack Lang, qui fut le Ministre de la Culture français désigné par le Président François Mitterand dès son premier mandat.
Si Tinguely n'avait insisté sur sa nationalité suisse quand il rencontra Malraux, ce serait aujourd'hui l'un de vos artistes préférés... On ne peut que féliciter ces deux ministres français (et surtout Malraux qui n'entendait rien à l'art moderne) qui, en véritables maîtres de l'action d'influence, réussirent a vous persuader, non seulement en France mais également dans le monde entier, que les plus grands peintres sont Picasso et Van Gogh.

La France fut le dernier Etat d'Europe à abolir la peine de mort, en 1981 (et oui...), alors que 67% des français étaient... pour.
Ce n'est qu'à force de débats télévisés et d'interventions de philosophes "officiels" que la population a fini par être totalement persuadée qu'il fallait se prononcer contre la peine de mort. Vous y a avez mis le temps cette fois ci, dites donc...

Quant à l'argent, si vous pensez qu'il ne fait pas le bonheur, c'est tout simplement parce que vous habitez un pays à dominante politique socialiste qui s'active à gommer les inégalités sociales. Dans les pays empruntant un système libéral, tel que les Etats Unis, c'est le contraire qui est pratiqué et chaque profession compte ses "stars" désignées par ses pairs. Et les stars, c'est bien connu et parfaitement admis dans ces pays, gagnent beaucoup d'argent, ce qui les fait admirer plus encore. Ce système est inconnu dans d'autres pays où les vedettes sont désignées et promues par le gouvernement, avec tout le tact indispensable au maintien des apparences, bien entendu. Ce dernier système est le plus ancien, et jadis un auteur ou un artiste ne gagnait la considération de l'opinion publique qu'après avoir gagné celle du Roi. Il était évidemment valorisant aux yeux d'autrui de partager les goûts du Roi. La lecture du magistral ouvrage Bruits, de Jacques Attali, nous en apprend beaucoup à ce dernier égard, ainsi qu'aux liens qui unissent étroitement l'art, l'argent et le pouvoir politique.

Opinion ! Quelle opinion ?

A ces quelques exemples, nous aurions pu rajouter l'antipathie que vous vouez bien entendu à Saddam Hussein et à Milosevic ou, a contrario, l'inexplicable sympathie que vous avez subitement manifesté à l'égard de quelques peuplades dont vous ignorez pourtant tout, telles que les Kurdes, les Kosovars, les Tibétains, etc.
Auparavant, vous vous êtes pris de passion de la même manière pour les Biaffrais et pour les Vietnamiens, jusqu'à ce que ces derniers massacrent à leur tour des millions de personnes. Vous trouvez le nazisme "nauséabond" parce qu'il a causé la mort de six millions de juifs dans les camps de concentration. Mais l'idéologie communiste est pleinement tolérée, alors qu'elle a causé la mort de près de quarante millions de personnes dans le monde et a largement usé, elle aussi, des camps de concentration jusqu'à ces toutes dernières années. Pour preuve de ce comportement, celui qui ouvrira demain un site de vente aux enchères d'insignes et d'uniformes de gardes de camps de concentration soviétiques ou khmers rouges ne recevra, à n'en pas douter, aucune lettre d'indignation. Arrêtez un instant de lire le "prêt à penser" que l'on vous sert quotidiennement et demandez vous si il y une différence entre : exterminer massivement des individus en raison de leur origine ethnique ou pour leurs opinions et mode de pensée ? De la même manière, il n'a jamais été fait de cas des populations tziganes qui, elles aussi, furent exterminées dans les camps nazis. Peut être même ignoriez vous l'existence de cet autre génocide avant de lire ces lignes.
Vous commencez à apprécier le rap et vous êtes même tout prêt à l'assimiler à une culture ; mieux, à un art. Pourquoi ? Parce que le rap, qui est pourtant fortement lié à la violence urbaine, fait l'objet d'un "matraquage" médiatique tandis que la musique techno, pourtant plutôt pacifique quand à elle, est exclue de ces mêmes médias.
Et oui, vous le voyez, sans jamais un seul instant en avoir eu conscience vous avez largement été influencé.

Influences et contre-influences.

Le dernier exemple de l'exclusion médiatique de la musique techno -avec un fort bel ensemble- peut être expliqué par le fait que ce genre musical contemporain fait l'objet d'une exploitation par les narcotraficants soucieux de promouvoir le commerce des nouvelles drogues chimiques. Ce pourquoi les instances gouvernementales de presque tous les pays du monde se sont mobilisées pour soustraire la musique techno de leurs médias. A l'inverse, la promotion ouverte du rap permet de montrer à une certaine population urbaine qu'on lui accorde le "droit d'expression" qu'elle réclame.
Il s'est publié infiniment plus de livres depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale que durant les 500 années qui séparent cette dernière époque de la création de la première bible de Gutemberg. A peine a t'on fini de construire la Grande Bibliothèque de Bercy pour pallier au manque de place de l'ancienne, que nous apprenons qu'elle arrivera à saturation vers l'an 2025... Que d'écrits ! Mais que disent ils donc ?

Agent d'influence.

On ne compte plus les agents d'influence, autochtones journalistes et écrivains discrètement payés par des services secrets étrangers ou des groupes d'intérêts divers pour écrire des livres ou des articles destinés à orienter l'opinion publique. Au même titre que l'officier de renseignement, les journalistes et écrivains de renom sont fréquemment approchés par des agents secrets qui tentent de les influencer, de les corrompre, voire de les soumettre à un chantage.
Tel académicien ou tel chercheur sera ainsi généreusement invité dans un pays dans lequel il sera même reçu par les plus hautes autorités locales. Le parcours touristique sera soigneusement établi et présentera ce pays sous son aspect le plus flatteur. De retour chez eux, ces plumitifs privilégiés et "amis" ne peuvent évidemment s'empêcher d'écrire et raconter ce qu'ils ont vu et entendu en des termes élogieux. Certains deviennent même de fervents défenseurs d'une cause toute belle et toute nouvelle, et confinent parfois au militantisme. D'autres vont jusqu'à se convertir à une foi à côté de laquelle ils regrettent sincèrement d'être passé durant de si longues années.
C'est également la tache des services de contre-espionnage que de déceler ces agents d'influence, involontaires ou non. Comme il est beaucoup plus difficile de réunir des preuves à charges contre l'agent d'influence, les services de sécurité anticipent en prévenant discrètement les éditeurs et les médias. A titre d'exemple, il est possible en France de trouver des livres et d'innombrables articles de presse sur Vladimir Poutine. Pourtant, l'autobiographie de l'actuel président russe n'a fait l'objet d'aucune traduction, bien que les espérances de vente d'un tel livre soient tout à fait attrayantes pour un éditeur. Vous ne pouvez donc penser de Vladimir Poutine que ce que l'on veut bien vous en dire.
En Angleterre, la population est, consciemment ou non, conduite à s'intéresser aux Etats-Unis et à l'Australie, ne serait-ce que par le truchement des pratiques commerciales. En effet, on trouve peu de vins français dans les linéaires des supermarchés anglais, tandis que les vins australiens et californiens bénéficient de rayons entiers pour eux seuls. Pourtant, les côtes françaises ne sont distantes que de quelque dizaines de kilomètres des côtes britanniques, et il y a même un tunnel...
Ces quelques exemples permettent de comprendre que chaque population de chaque pays est inévitablement et inconsciemment conduite à adopter la position officielle de son gouvernement et à se soumettre aux orientations politiques de celui-ci.

Amérique contre Russie.

Lorsque la Russie était soviétique, les services spéciaux de ce pays ont développé d'efficaces moyens de désinformation qui sont parvenus à influencer le comportement de l'immense majorité des jeunes en Europe et aux Etats Unis durant plusieurs décennies. Au sein du KGB, le Département "D" chargé de ce travail parlait de "mesures actives" ("activinie myeropratiye"). Créé vers 1958 et confié à l'autorité du colonel Agayant, le Département "D", qui devint par la suite le Service "A", manipulait journalistes et écrivains pour lancer de vastes campagnes de désinformation visant à déstabiliser l'occident, et les Etats Unis en particulier . Ces campagnes partaient généralement d'Inde, pays avec lequel la Russie entretenait -et entretien toujours aujourd'hui- d'excellentes relations. Les articles à sensation publiés dans la presse indienne étaient ensuite repris par les médias occidentaux qui n'y voyaient bien souvent que du feu, partant naïvement du principe que c'était vrai puisque publié dans de grands quotidiens nationaux d'un pays à la relative neutralité...
Dans le jargon de l'espionnage, on parle de "caisse de résonance" pour évoquer la reprise d'un article de presse par d'autres médias.
En 1982, la presse occidentale fit donc caisse de raisonnance relativement à des articles de quotidiens indiens expliquant que le virus du SIDA avait été développé par l'armée américaine. En France, la vague d'antimilitarisme devait également beaucoup au Service "A" du KGB. Et nos grands partis écologistes d'aujourd'hui sont les descendants d'un mouvement antinucléaire initialement favorisé par le KGB en Allemagne de l'Ouest ("Atomkraft. Nein danke !"). A cet égard, l'action de désinformation se percevait aisément lorsque l'on constatait que les militants antinucléaires les plus farouches étaient en vérité totalement incapables d'expliquer comment se manifeste la radioactivité.

De leur côté, les américains ont bel et bien répliqué d'une manière plus souvent défensive. Peu après la Libération le SFIO, issu de la gauche résistante, était considérablement infiltré par les services spéciaux soviétiques, et la grande popularité du communisme en France et en Italie durant l'immédiat après guerre inquiétait beaucoup les américains. C'est pourquoi la CIA naissante manipula les mouvements d'extrême droite italiens, et aida beaucoup à leur développement. William Colby, fut le maître d'oeuvre de ces opérations spéciales en Italie. Et c'est ainsi que la CIA finança, à grand frais, la création de journaux italiens et de nombreuses campagnes d'affichage en faveur de l'extrême droite italienne. En France, n'en déplaise aux adhérents d'aujourd'hui qui ne le savent généralement pas, la création du puissant syndicat Force Ouvrière (FO) fut organisé et financé par la CIA, en 1947, pour casser le monopole des syndicats communistes.

1980/2001 : le "boom" de l'influence et de la désinformation.
Plusieurs facteurs ont permis le boom de l'action d'influence que nous connaissons aujourd'hui.
L'évolution technique, et l'explosion de l'informatique en particulier, ont permis, à partir des années 1980, une baisse considérable des coûts de la communication et donc leur accès au secteur privé. Avant cette période la publication et la diffusion d'un journal, d'un livre, d'une émission de radio ou de télévision représentaient des investissements si lourds qu'ils étaient réservés aux seuls Etats. Le boom de la presse, la venue des radio "libres", la multiplication des chaînes de télévision privées et, dernièrement, l'arrivée d'internet et sa démocratisation ont élargi à l'ensemble de la population le pouvoir de communiquer massivement. Ainsi, sous des titres parfois anodins, les mouvements sectaires publient des livres ayant pour but véritable le prosélytisme. Ainsi, derrière tel magazine automobile se cache une marque de pneus. Ainsi, telle radio libre est financée par un parti politique. Ainsi tel site internet est financé par un groupe extrémiste. Il est difficile de lutter contre ces nombreuses formes contemporaines d'actions d'influence, car le concept fort à la mode de "libertés d'opinion et d'expression" permet beaucoup d'abus. En outre, il est dans la plupart des cas impossible de désigner clairement les brebis galeuses, sous peine de faire l'objet d'attaques en diffamation.
A titre d'exemple, il y a peu, un puissant éditeur de logiciels informatique américain créa une association ayant pour but de faire sa propre police contre le piratage informatique, par la méthode de l'incitation à la délation. Malgré les pratiques étranges et assez contestables de cette association -prise en flagrant délit de chantage au Brésil- il est impossible de s'attaquer à elle sans immédiatement s'exposer aux foudres de son cabinet d'avocats, très vindicatif. Impossible également de s'adresser directement à cette association qui est pourtant omniprésente dans les salons informatiques, mais qui disparaît pour laisser place à ses avocats dès qu'on lui demande plus simplement de s'expliquer clairement sur ses pratiques.
Il y a deux ans, en France, une célèbre marque de voiture américaine fit un spot télévisé pour un monospace qui fut principalement diffusé sur une chaîne câble/satellite s'adressant à une classe sociale aisée. La bande sonore, qui ne parlait pas beaucoup, sinon pas du tout, du véhicule présenté, était en fait une action d'influence destinée à inciter les cadres supérieurs à partir travailler aux Etats Unis. La Silicon-Valley manquait alors cruellement d'informaticiens qualifiés.
En France, au début des années 80, le nouveau gouvernement socialiste cherchait à inciter les français à créer des entreprises, et il fallait trouver un personnage charismatique incarnant la réussite sociale par la création d'entreprises. Pour ce faire, une émission télévisée diffusée à une heure de grande écoute présenta sous la forme d'un reportage les profils de sept français entreprenants et dynamiques. Parmi ceux-ci se trouvaient le publicitaire Jacques Séguéla, le patron du Club Med Gilbert Trigano, l'avionneur Serge Dassault et le jeune Bernard Tapie. Dans les jours qui suivirent l'émission, un sondage auprès des téléspectateurs fut effectué, et le personnage unanimement désignée comme le plus représentatif fut Bernard Tapie. A compter de ce jour, il ne sa passa plus une seule semaine sans que l'on parle de Monsieur Tapie dans les médias. L'homme bénéficia d'inhabituelles facilités pour entreprendre l'incroyable suite que nous lui avons connu, ceci pour mieux persuader les français qu'il était plus simple de se lancer dans les affaires qu'il n'y paraissait. Plus récemment, un célèbre éleveur de volaille français, incarnant fort bien la réussite sociale sans diplômes, fut pressenti pour prendre la relève de Tapie ; la place étant encore actuellement vacante.
A l'usage, Bernard Tapie fut effectivement un excellent homme d'influence "à usage interne" car ce personnage, et le battage médiatique qui fut organisé autour de lui, favorisa bel et bien d'innombrables créations d'entreprises.
L'internet, et globalement l'informatique, sont aujourd'hui formidablement étayés par une presse spécialisée qui a véritablement envahi les kiosques. Un grand nombre de ces magazines sont créés, ou discrètement sponsorisés, par de grandes marques ou des groupes de pression afin d'inciter et orienter la consommation.

Philips Millenium et Belvedere se dispute le marché de l'embouteillage... Partant du principe que la meilleure défense, c'est l'attaque, la société Edelman travaillant pour le compte de Philips Millenium met en ligne le 12 octobre à 20 heures un site Internet offensif contre Belvédère. La date ne doit rien au hasard : le lendemain, 13 octobre, Belvédère présente ses comptes semestriels.
Les effets sont dévastateurs : le cours boursier de Belvédère s'effondre, la presse économique et financière reprend en majorité les thèses de Millenium, la COB ouvre une enquête sur la communication financière de Belvédère.

Suite à une plainte de Belvédère pour dénigrement commercial, le Tribunal de Commerce de Paris décide la "fermeture" du site Millenium en décembre 1998, deux mois après son apparition. Le mal est déjà fait :
Belvédère s'est montré incapable de contre-attaquer sur le terrain d'Internet
Le site Millenium n'était pas le fait d'amateurs : il avait été réalisé par la filiale française d'une des plus importantes agences américaines de relations publiques, Edelman le site ne constituait que la partie émergée de l'opération de déstabilisation sur Internet : Edelman contrôlait des bases de données spécialisées qui lui permirent d'adresser directement ses messages, par mail, à des cibles privilégiées, en premier lieu les journalistes économiques et financiers.

Trop heureux de recevoir une information pré-mâchée et trop pressés pour la vérifier, ceux-ci la reproduisaient en général dans leurs médias sans la discuter : le point de vue de Phillips Millenium devint ainsi la version officielle de l'affaire.
Mieux ou pire, lorsque ces médias disposaient d'un site Internet, un lien renvoyait au site Phillips Millenium pour plus d'informations.

Edelman et son désir trop fort d'assurer sa promotion en même temps que la campagne de son client a commis plusieurs fautes : l'attaque a été menée à "adresse découverte", sans tentative pour brouiller les pistes quant à l'identité réelle du pourvoyeur d'informations ; cela explique que le site ait pu être fermé aussi vite sans renaître immédiatement de ses cendres sur d'autres serveurs, loin de l'hexagone.

L'information et la désinformation sur Internet se sont depuis sophistiquées : les manipulateurs avancent toujours mieux camouflés sous des noms d'emprunt, par exemple sur des forums dont ils tentent d'influencer le contenu au bénéfice de leurs employeurs.

Désinformation et économie.

L'étude du déroulement des plus grands krach boursiers de l'histoire, à commencer par celui de 1929, a permis de comprendre que ceux-ci étaient majoritairement dus à une absence de contrôle de l'information boursière. Les évolutions des marchés boursiers doivent en effet essentiellement aux excès d'optimisme et aux mouvements de panique. Lors du plus célèbre de tous les krach boursiers, celui de Wall Street, en 1929, tous les journaux s'empressèrent de publier en grands titres la chute des valeurs. Cette hyper-dramatisation dont use ordinairement la presse pour capter son auditoire généra une véritable panique qui, tel un effet de Larsen, décupla littéralement l'effet du krach. De nos jours, une observation attentive du comportement des médias permet de comprendre que ces derniers sont devenus de véritables acteurs de la régulation économique. Citons quelques exemples.
Jusqu'au mois de mars 1999, la chaîne câblée LCI plaçait en quasi permanence l'indice du CAC 40 en incrustation en bas et à droite de l'écran. Jusqu'à ce mois de mars fatidique, on pouvait ainsi suivre en permanence et en temps réel l'étonnante croissance de cet indice des valeurs françaises. Lorsque le Nasdaq chuta brutalement, il entraîna dans sa chute une baisse significative des autres valeurs, dont le CAC 40 qui aurait bien voulu continuer sa course jusqu'à 7000 points. C'est peu après le début de ce krach localisé sur les valeurs des nouvelles technologies que l'on vit disparaître pendant plusieurs semaines, purement et simplement sans explication aucune, l'indice CAC de l'écran de LCI. En outre, les informations des commentateurs spécialistes de cette chaîne se firent soudainement plus nuancés, au point qu'il semblait nécessaire d'aller chercher de l'information boursière ailleurs.
Toujours dans le domaine boursier, les téléspectateurs français ont été habitués, des années durant, à voir apparaître le chroniqueur économique René Tendron présenter l'actualité boursière à la fin de chaque journal télévisé. Depuis quelques temps les informations boursières quotidiennes ont totalement disparu -dans un bel ensemble- de toutes les chaînes de télévision hertziennes françaises.
Enfin ; intéressez vous attentivement à tel ou tel magazine qui titrera, en gros "C'est la reprise !" alors qu'une étude sérieuse des chiffres de l'économie à cet instant démontre formellement le contraire.

Meetings et rassemblements.

Les grands rassemblements, les effets de son et lumière et les chants dynamisent les foules dans des proportions parfois à peine croyables. Tous ces artifices ont été mis au point, formalisés et éprouvés par les nazis, et en particulier par le spécialiste de la communication Goebels qui planifia les grands rassemblements de type "Nuremberg". Le caractère de solennité de ces rassemblements, amplifiés par le son et les lumières, exerce une influence considérable sur tous ceux qui ne les ont pas étudiés. Aujourd'hui, tous les grands partis politiques ont repris, à la lettre, l'organisation de meetings selon les méthodes de Goebels. Mais tel est également le cas de quelques sectes, dont Moon en particulier, qui organisent dans de grands stades de tels rassemblements. En Russie, où les sectes sont devenus très présentes depuis la fin de l'empire soviétique, de grands rassemblements sectaires très savamment organisés débouchent sur de nombreux cas d'hystérie collective. Il faut comprendre que les individus les plus faibles psychologiquement, et les plus démunis, sont plus facilement réceptifs à ces méthodes sophistiquées de manipulations.
Les rave party sont une évolution à dominante technologique de ces techniques "foule-son-lumière" auxquelles il faut toujours ajouter un leader : le "DJ".
Pour parler un peu technique, les ondes alpha émises par le cerveau à travers le système nerveux ont une fréquence de 25 Hz. Un individu exposé à des lampes stroboscopiques calées sur cette fréquence perdra totalement ses moyens. Les sons de basse fréquence ont également une influence très importante et influent même sur l'organisme au delà d'un certain seuil. Ainsi, des sons puissants d'une fréquence égale ou inférieure à 20 Hz déclenchent la nausée au bout de quelques minutes. Toutes ces nouvelles techniques, lorsqu'elles sont pleinement maîtrisées par des spécialistes, diminuent dans de très importantes proportions le sens critique de l'individu. Mais nous abordons là un autre sujet qui s'inscrira dans le cadre d'un prochain article sur les privations sensorielles et autres méthodes de torture modernes.

Le fonctionnement de l'action d'influence.

Indépendamment de toute influence extérieur, chaque individu se forge sa propre opinion d'un événement donné. C'est la présence d'un "leader" qui fait se constituer des groupes qui peuvent facilement devenir antagonistes. Faute de ce leader, chaque individu agira pour ses intérêts propres sans vraiment se soucier de l'avis de ses congénères. A partir du moment ou une majorité ayant une opinion identique se forme, on peut douter de l'authenticité de l'opinion de la majorité des représentants de ce groupe. Si cette opinion concerne deux personnages antagonistes de la scène politique, ou deux pays en conflit ouvert, on devrait voir plusieurs groupes se former : ceux qui sont pour l'un et ceux qui sont pour l'autre, ainsi qu'un troisième groupe qui n'a pas encore fixé son choix. Si il y a un déséquilibre important entre les deux premiers groupes et que l'on assiste à une minoration du dernier groupe étiqueté "sans opinion", c'est parce qu'il y a eu action influence.
Lors de guerre du Golfe, l'immense majorité des occidentaux se prononçait en faveur d'une action militaire à l'encontre d'un "tyran". Et pour cause puisque ces populations n'avaient été exposées qu'à une seule source d'information. Ces proportions n'auraient pas du tout été les mêmes, si on avait laissé Sadam Hussein exprimer son point de vue selon un temps de parole identique à celui des leaders occidentaux.
En effet, il est extrêmement rare que la réalité se conforme aux modèles issus du cinéma, tels que les gendarmes et les voleurs, les gentils cow boys et les sauvages indiens (ce dernier binôme a dernièrement été inversé), bref, les "méchants" et les "gentils". Dans la réalité, et compte tenu de la nature humaine qui est ce qu'elle est, il est totalement impossible que le gentil soit 100% pur gentil et le méchant 100% pur méchant. Saddam Hussein estimait avoir de valables raisons d'investir le Koweït (nous autres français l'avions d'ailleurs précédemment encouragés à attaquer l'Iran et convenablement équipé pour cela). De leur coté les Etats Unis estimaient avoir de valables raisons de ne pas le laisser faire. Or, nous autres occidentaux avons unanimement pris parti contre l'Irak, sans avoir pris connaissance de tous les aspects du comportement de ce dernier. Pour que nous soyons à ce point influencés, il a fallut que les média sélectionnent exclusivement les aspects négatifs des actions de Saddam Hussein, tandis que tous les bons ont été soigneusement occultés. Il y a donc eu indiscutablement désinformation durant la guerre du Golfe.
Lorsque l'action d'influence atteint un certain seuil, optimum, l'acquiescement de l'opinion débouche sur une psychose collective, pour reprendre l'expression, fort approprié de Vladimir Volkoff, grand spécialiste de l'étude de la désinformation. Lors de cette étape, l'individu perd tout sens critique et souhaite lui même être abreuvé du sujet qui l'a influencé. A ce stade, Vladimir Volkoff parle de "vampirisme", en nous expliquant que celui qui est mordu par le sujet devient mordeur à son tour. Passionné par le sujet, il devient lui même un vecteur d'opinion et influence à son tour son entourage. Bref, le désinformé devient désinformateur...
Les deux célèbres chercheurs américains spécialistes de la désinformation, Alvin et Heidi Tofler, ont recensé six moyens de faire perdre aux individus leur sens critique dans le cadre d'une action de désinformation visant un pays ennemi :
1) l'accusation d'atrocités ;
2 )l'exagération des enjeux ;
3) la diabolisation ou la déshumanisation de l'adversaire ;
4) la polarisation intransigeante (ex. : si vous n'êtes pas avec moi, vous êtes donc contre moi) ;
5) l'invocation d'une sanction divine (l'efficacité de ce moyen est minimisé au sein des populations laïques) ;
6) la "métapropagande" (art de discréditer l'information de la partie adverse en la qualifiant arbitrairement de propagande).

Le mécanisme de la rumeur.
La rumeur est aussi difficile à faire pousser que les champignons sauvages. Autrement dit, sa création et son développement son parfaitement aléatoires. Tel semis de rumeur prendra, là où tel autre ne prendra pas, sans que l'on puisse expliquer pourquoi encore aujourd'hui. Telle révélation tout à fait étonnante et parfaitement vraisemblable ne sera pas relayée et disparaîtra, tandis que le plus éhonté des ragots pourra facilement s'étendre à tout un pays, et parfois même traverser les frontières par delà les océans. Il y a quelques années on trouvait régulièrement sur le serveur de newsgroups internet finlandais anon.penet.fi des témoignages de pilotes mettant en cause la fiabilité de l'avion Airbus A 320. Cette tentative d'intoxication par la création d'une rumeur fut relayée par de nombreux envois anonymes de mails à des décideurs de compagnies aériennes, agences de voyage et pilotes. Là, cette tentative connut un grand succès car, grâce à l'internet, elle fut reprise et rapidement rediffusée sur tout le globe.
Le chercheur spécialiste français de la communication, Jean Noël Kapferer a consacré un livre entier au phénomène de la rumeur. Pour illustrer la rumeur et le type de messages qu'elle véhicule ordinairement, nous pouvons citer ce cas du paquet de cigarettes Marlboro dont on prétendit longtemps aux Etats Unis que le dessin de la partie supérieure rouge était censé discrètement représenter le "K" du Ku-Klux-Klan. De même qu'il fut allégué que le logo de la firme Procter et Gamble -une lune sur fond de ciel étoilé- était dût à des liens avec la secte Moon.

Les dernières évolutions de l'action d'influence.

Aujourd'hui, de grandes entreprises peuvent avoir une capacité financière qui égale ou dépasse celles de quelques Etats. Mais certaines de ces grandes entreprises sont infiltrées, voire contrôlées par des services de renseignement. L'actualité a d'ailleurs récemment rapporté les soupçons qui pèsent sur l'entreprise américaine Microsoft. Il a été dit en effet que cette entreprise emploierait des agents des services spéciaux américains. Il est bien entendu possible que cette information soit elle même une action d'intoxication s'inscrivant dans le cadre d'une vaste campagne anti-Microsoft qu'il est devenu impossible de ne pas remarquer. Mais la taille de cette entreprise américaine, et le pouvoir économique et sociale considérable qu'elle exerce sur le monde, nous fait dire qu'il est totalement exclu que Microsoft n'ait pas été infiltré par des agents américains... et par ceux d'autres pays.
Ainsi que nous l'avons rapporté plus avant en citant l'exemple de ce spot télévisé pour un monospace américain, un examen critique des campagnes de communication lancées par de grandes entreprises met parfois en évidence des actions d'influence sous jacentes. Ces dernières actions ne sont pas nécessairement néfastes car, dans le cas, par exemple, d'une série de spots télévisés diffusée par une grande entreprise européenne dans son pays d'origine, on identifiait aisément des actions de communications cachées visant à inciter la population de meilleurs sens sociaux et moraux.
Globalement, on peut dire que l'on assiste à de nouvelles méthodes de communication publique constituées de messages civiques cachés dans de banales publicités d'entreprises privés. Ce qui démontre formellement du même coup les liens étroits qui unissent parfois certaines entreprises privées aux gouvernements.
Le cinéma permet lui aussi l'action d'influence. Ainsi avons nous clairement relevé des actions d'influence dans le scénario de quelques films. Par exemple, le film Goldeneye, de la série James Bond, ne laisse aucun doute quand à l'identité réelle du personnage que le méchant de ce long métrage veut suggérer. Dans Goldeneye, un dialogue entre le méchant -patron d'une grande entreprise aux visées monopolistique- fait état de bugs intentionnellement glissés dans la dernière mouture des logiciels qu'elle produit. Comment ne pas songer en visionnant ce passage à une certaine grande entreprise américaine éditrice de logiciels qui fut justement longtemps victime de cette accusation ?

Un peu d'histoire.

Au terme de cet article que nous avons délibérément amputé d'une introduction historique qui l'aurait rendu trop académique aux yeux d'un vaste public, nous souhaitons toutefois rappeler que les bases de l'action d'influence et de désinformation sont puisées par toutes les agences de renseignement du monde dans les textes du stratège chinois Sun Tzu. Aujourd'hui encore, les chercheurs et historiens n'ont toujours pas démontré si tous ces textes, réunis en un volume intitulé L'art de la guerre, ont tous été réellement écrits par Sun Tzu ou si il s'agit d'une compilation d'enseignements de multiples généraux chinois. On situe la période à laquelle cette compilation a eu lieu aux environs des 2500 ans. Nous vous recommandons bien entendu la lecture de Sun Tzu, universellement apprécié au sein des académies militaires du monde entier. Citons ce célèbre extrait :
" Tout l'art de la guerre est basé sur la duperie.
C'est pourquoi, lorsque vous êtes capable, feignez l'incapacité ; actif, la passivité.
Proche, faites croire que vous êtes loin, et loin que vous êtes proche.
Appâtez l'ennemi pour le prendre au piège ; simulez le désordre et frappez-le ".

La plus célèbre et la plus formidable action de l'histoire de la désinformation a sans conteste été montée par l'église catholique durant toute la période du moyen-âge. En effet, lors de cette époque, les seuls livres existants étaient exclusivement écrits à la main par des moines copistes, et la lecture de la bible impliquait obligatoirement la connaissance du latin, ce qui n'était donné qu'à une caste d'érudits privilégiés. Le reste de la population devait s'en remettre aux religieux et prédicateurs qui, la griserie du succès aidant, ajoutèrent aux écritures quelques nouvelles créations telles que : le diable et son enfer, le purgatoire et le paradis. Ceci permettait de soumettre les peuples, et leurs rois, au chantage : "si tu ne fais pas comme j'ai dis, tu iras bruler dans les flammes de l'enfer. Dans le cas contraire, je te promet le paradis".
Comme tout bon tyran patenté, l'église voulait monopoliser le savoir et sa transmission par les écritures, et donc n'aimait pas trop la concurrence. C'est pourquoi il fut rapidement décrété que tous les esprits un peu trop portés sur les sciences devaient être accusés de sorcellerie, et donc de liaisons coupables avec le diable. On se débarassait facilement de ces géneurs avec la complicité des autorités gouvernementales, et on peut penser aujourd'hui que plus d'un Léonard de Vinci en herbe finit au bucher avec tout son matériel. Mais on n'arrète pas le progrès, et l'arrivée presque simultanée de Gutemberg et de Martin Luther mit un terme à cette vaste campagne de manipulation des masses qui dura... des siècles.
Le 31 octobre 1517, Luther écrivit à l'Archevêque de Mayence en le priant de mettre fin à l'opération scandaleuse des "indulgences". Il y joignit les fameuses Quatre-Vingt-Quinze Thèses "sur la vertu des indulgences" et demanda l'organisation d'une dispute sur ces propositions afin de contribuer à la clarification de la doctrine des indulgences, qui n'avait pas encore été définie par l'Église. Ce qui paraît clair, c'est que ces thèses étaient destinées à la publication. Elles ne furent imprimées qu'à la fin de l'année et firent alors sensation.
Certes, Luther avait seulement voulu critiquer un abus existant dans l'Eglise ; mais, comme il s'agissait d'une mesure ordonnée par le pape, son geste lui valut une dénonciation à Rome de la part de l'archevêque Albrecht. Et, par ce biais, l'"affaire Luther" devint bientôt un conflit de principe sur la question de l'autorité. Dans le cours de ce débat, la théologie de Luther évolua rapidement. Selon ses propres indications, il parvint en 1518, à force de réfléchir à ("le juste vit de la foi"), à sa découverte théologique décisive, à savoir que Dieu n'exige pas de l'homme la justice, mais l'octroie gratuitement au croyant dans le Christ. C'était là un renversement complet : désormais il n'était plus question d'ascèse pénitentielle, mais bien de la réception de la justice gratuitement offerte ; une première catastrophe pour les saints tyrans.
D'un trait et en toute logique, se développa à partir de là le programme de la Réforme, qui, grâce à l'imprimerie, fut connu rapidement à travers l'Allemagne et même au-delà. Bien entendu, la messe était encore célébrée selon l'Institution avec du pain et du vin ; cependant, elle n'était plus considérée comme un sacrifice, mais comme un don de Dieu reçu dans la foi. Les autres sacrements étaient abrogés comme n'ayant pas été institués par le Christ. L'Eglise comprise comme institution sacramentelle était ainsi mise en question.
Tandis qu'à Rome reprenait le procès intenté à Luther, la bulle qui le menaçait d'excommunication fut publiée en juin 1520 et ses livres furent brûlés (encore ce feu "purificateur" que l'on retrouve aujourd'hui dans la symbolique de l'idéologie d'extrême droite). Il réagit le 10 décembre en brûlant la bulle papale et, qui plus est, le droit canon : il ne reconnaissait plus le système juridique ecclésiastique. La rupture avec Rome était ainsi consommée.
Selon le droit en vigueur, cette excommunication entraînait la mise au ban impérial. Charles Quint avait cependant promis aux Etats de l'Empire que personne ne serait mis au ban sans leur accord. Luther fut donc convoqué en 1521 devant la Diète qui se tenait à Worms. Se réclamant de sa conscience liée par la Bible, il refusa de se rétracter comme on l'exigeait de lui. De son côté, Charles Quint prit position en sa qualité de protecteur de l'Eglise, contre laquelle un moine mendiant à lui seul ne pouvait avoir raison. De ce jour, il devint l'adversaire principal de Luther, encore que ses intérêts européens ne lui laissassent pas alors le temps de suivre l'affaire. Par l'édit de Worms, Luther et ses disciples furent mis au ban et ses livres interdits ; mais cela n'empêcha pas ses idées de continuer, dans l'ensemble, à se répandre.
À son retour de Worms, Luther fut mis en sûreté par l'électeur Frédéric pour dix mois à la Wartburg, près d'Eisenach. Dans cette retraite, il écrivit divers ouvrages de polémique, notamment sa réponse à la condamnation qu'à son tour la Sorbonne avait prononcée contre lui, et une réfutation de l'obligation de se confesser, la confession étant cependant maintenue, mais laissée à la liberté du croyant. Plus incisif était le " Jugement" qu'il rédigea sur les voeux monastiques : Luther estimait ceux-ci incompatibles avec la foi et la liberté chrétiennes ; les exigences bibliques, à ses yeux, valaient pour tous les chrétiens sans distinction ; la chasteté ne se confondait pas avec le célibat, mais s'imposait précisément dans le mariage comme état approuvé par Dieu. Cet écrit eut pour effet que beaucoup de religieux et de nonnes, en toute bonne conscience, quittèrent leurs couvents et qu'en de nombreuses régions ce fut l'effondrement de la vie monastique. De ce séjour à la Wartburgs date aussi la première partie de la Postille , le recueil des sermons qui allaient faire de Luther le prédicateur le plus connu des pays de langue germanique. Enfin, c'est dans cette retraite qu'il traduisit en allemand le Nouveau Testament ; sa traduction de l'ensemble de la Bible fut terminée en 1534.
Dans l'Empire, l'implantation luthérienne connut pourtant bien des vicissitudes. Si, lors de la diète de Spire en 1526, Charles Quint dut accepter de laisser aux princes toute liberté en matière de religion, il revint sur cette concession à la deuxième diète de Spire, en 1529, ce qui entraîna une protestation de cinq princes et de quatorze villes libres ; telle est l'origine du nom de "protestants", donné aux partisans de la Réforme. L'avènement du livre à cette époque permit une action de contre-influence décisive qui mit fin au monopole de la transmision écrite du savoir et de son orientation par les religieux.
Contrairement à ce que les manuels d'histoire élémentaire nous expliquent, la dénonciation du pouvoir tyrannique et de l'influence exercé par l'église sur l'Etat ne doit pas qu'à Martin Luther. En effet, un autre érudit et enseignant d'Oxford, Guillaume d'Ockam, rédigea vers les années 1335/1340 un texte connu sous le nom de Court traité du pouvoir tyrannique. Ce texte, récemment traduit en langue française (3) est aujourd'hui considéré comme un des jalons essentiels du long cheminement qui a permis d'aboutir à la séparation de l'église et de l'Etat.

La liquidation des prisonniers effacée des archives.

Voici un exemple de désinformation inclus dans les archives : le rédigé de documents soviétiques du NKVD concernant l'extermination des officiers polonais en 1940 - pendant la collusion soviéto-nazie - change après l'attaque allemande de l'URSS en 1941. La mention d'"opération de service" indiquant en terme du NKVD la liquidation des prisonniers de guerre polonais disparaît des nouveaux documents et les chiffres changent. On peut donc présenter les uns ou les autres... En effet, Staline prépare alors une nouvelle stratégie politique en direction des Alliés, dont la Pologne fait partie, mais que Moscou veut évincer, continuer à liquider, puis occuper et asservir. Cette nouvelle stratégie, y compris idéo-politique, est appuyée sur le mensonge et la négation à l'époque, mais aussi sur leur préparation pour l'avenir. Il s'agit de la négation du massacre de Katyn (1940) incidemment découvert et de la dissimulation du génocide polonais, encore aujourd'hui objet de négations sporadiques.
Ainsi, la lecture et le calcul des chiffres dans les archives dévoilées sont ardus. La méthode historique doit alors se doubler de la méthode soviétologique. Il est à noter que celle-ci se perd faute de soviétologues, remplacés tambour battant par des "transitologues", dont la spécialité ambiguë ne précise pas qui transite vers quel système, mais qui affirment triomphalement la fin du communisme soviétique. Dans ce cas aussi on a donc un exemple actuel - pour le présent politique, mais aussi pour l'histoire future - de préparation des faits et des mots destinée à dissimuler les avatars de la réalité communiste, y compris au sein des pays occidentaux, sous des étiquettes "sociales" (socialistes), "démocratiques" (populaires), ou même "libérales" (matérialistes sans rapport avec la liberté), et toujours "collectives" (communistes?). La méthode communiste de désinformation et d'intoxication a été trop efficace pour être modifiée.
Rideau de fumée idéologique et "Fédération européenne communiste"
Reprenons l'exemple historique du génocide polonais commis par la Russie bolchevique et l'Union soviétique après l'annexion par le Kremlin de l'Ukraine et de la Biélorussie occidentales polonaises et leur "union soviétique" à la faveur du pacte Ribbentrop-Molotov en 1939 pendant la collusion de Staline avec Hitler. Il faut se rappeler, en effet, que le génocide polonais avait été entrepris bien avant 1939 par la Commission Extraordinaire Pan-Russe auprès du Conseil des Commissaires du Peuple (Vétchéka) d'origine, devenue la Direction Politique d'Etat (GPU), puis le NKVD. La tentative idéologique et politique communiste de limiter l'étude de ce génocide national, autant que politique (politicide), à la période 1939-1941 prétend accuser Staline de déviation du léninisme. Alors qu'un génocide et politicide antérieurs mettent en cause Lénine, mais aussi Trotsky. Or, le trotskysme sert encore aujourd'hui de recours révolutionnaire permanent et surtout mondial, mais "antimondialiste", à une partie de l'eurocommunisme "révisé" à "visage humain", à caractère humanitaire social mais sans humanisme libéral, affichant la défense des valeurs socialistes et collectivistes ("collectives" et "sociales") globales, mais hostile à la globalisation capitaliste, bref, l'un des piliers de la future fédération européenne. Trotsky avait lancé le premier ce projet de "Fédération européenne communiste" , que les Polonais avaient fait capoter en 1920, à l'issue de leur guerre victorieuse, qui fut la "seule guerre perdue par Lénine" et par la Russie soviétique.

1917-1920

Les Polonais justement... On ne sait pas exactement combien de morts a fait le "Brasier" des Confins orientaux polonais depuis la Révolution russe de 1917 jusqu'à la victoire polonaise de 1920: sans doute une ou deux centaines de milliers de Polonais de ces territoires occupés par les tsars lors des partages de la Pologne au XVIIIème siècle et partiellement repris par la IIème République Polonaise renaissante en 1918-1920.

1928-1938

Ensuite, selon les archives soviétiques, 800 000 Polonais ont été liquidés physiquement, de 1928 à 1938, pendant les purges de l' "Opération POW" et de l' "Opération polonaise du NKVD", étendues au parti communiste polonais. La liquidation de ce parti (KPP) déborda et atteignit 134 529 personnes qui n'étaient pas toutes du parti, mais avaient participé ou servi aux expériences socio-politiques des communistes sur les Polonais de la partie des Confins orientaux polonais laissés à la Russie par le traité polono-bolchevique de Riga en mars 1921, après la défaite de Moscou.

1939-1941

En septembre 1939, à la suite de la campagne germano-russe contre la Pologne et de la double occupation du pays, 5 274 000 Polonais des Confins orientaux de la République (39,96% de la population autochtone) se sont trouvés sous occupation soviétique. En dehors de chasses à l'homme, d'arrestations et d'internements ou de liquidations immédiates, Moscou a ordonné une opération d'enregistrement par le NKVD des "éléments socialement dangereux". Ces derniers ont été évalués à plus de trois millions. L'enregistrement a précédé les déportations, qui ont atteint 1 692 000 Polonais, mais pas les trois millions désignés par le Kremlin. Ces déportations qui ont repris dès l'entrée en 1944 de l'Armée rouge en Pologne orientale, ont encore frappé 49 600 soldats de la Résistance polonaise antinazie (A.K.) et 50 200 Polonais civils.

Une lecture faussée.

Une lecture à la lettre des archives soviétiques révèle que des Polonais "réfractaires" à la "libération" soviétique, c'est à dire à l'agression et au "couteau planté dans le dos de la Pologne" par Moscou le 17 septembre 1939, selon l' historiographie universelle, pouvaient être convaincus de "crime de droit commun", notamment d'appartenance à des "organisations nationalistes et militaro-fascistes". C''est à dire à l'armée régulière polonaise et à la Résistance aussitôt organisée contre l'envahisseur nazi, auquel s'était joint l'envahisseur soviétique. La Résistance était appelée dans ces archives "agitation". Prisonniers, les Polonais étaient "pris en charge". Les populations civiles déportées étaient, selon ces dossiers, "déplacées".. La Pologne occupée par le Reich hitlérien était désignée dans les textes soviétiques comme territoire "sous juridiction allemande". Alors que la partie de l'Etat polonais occupée par l'URSS était appelée "Ukraine et Biélorussie occidentales". Cela influence encore aujourd'hui la lecture des faits et le calcul des Polonais soumis au génocide. En effet, combien étaient Polonais, combien Biélorusses et Ukrainiens ou Juifs polonais ? Tous étaient citoyens polonais, en tout cas.
En 1939, il y avait aux Confins orientaux de la République Polonaise occupés par l'URSS, 5 274 000 Polonais, 4 529 000 Ukrainiens, 1 945 000 Biélorusses, 1 109 000 Juifs, 134 000 Russes, 89 000 Allemands, 84 000 Lithuaniens et 35 000 Tchèques, "ci-devant" citoyens polonais. D'autre part, dans les territoires de l'Est auxquels la Pologne avait renoncé en 1921, les autorités soviétiques avaient arbitrairement et brutalement dénié la nationalité polonaise à quelque 60% de Polonais. Malgré que l'on avait, dans l'administration soviétique elle-même, prouvé la falsification du recensement, et que l'on avait même refait les comptes officiellement, ce sont les premières données qui ont été conservées et utilisées. Elles l'ont aussi été au cours de la seconde et dramatique falsification que fut l'opération de "passeportisation" soviétique des citoyens polonais survivants en 1943, assimilant ceux-ci à des citoyens soviétiques et les retenant de force en URSS (37 950 Polonais gardés en déportation). Dans les archives, ce sont ces chiffres-là qui sont les premiers fournis. Ils continuent donc à tromper.

Des chiffres trompeurs.

Il faut prendre en compte, quand on manie les chiffres selon Moscou :
1.l'assassinat et la déportation de Polonais sans trace ni mention d'aucune sorte de "Polonais", sauf les témoignages et les rapports d'époque des victimes et des résistants chargés de l'observation et de la recherche;
2. le déguisement des crimes politiques et "antinationaux" de l'Etat-parti soviétique et de ses "organes" de répression - crimes considérés comme nécessaires à l' "internationalisme" prolétarien communiste au profit de Moscou - sous des appellations anodines, le plus souvent de droit commun, destinées à édulcorer les faits et à brouiller les pistes sur le moment et pour l'avenir;
3. le camouflage, par les autorités soviétiques, des Polonais liquidés sous la nationalité des autres autochtones des Confins orientaux de la République Polonaise occupée;
4. la dissimulation par des Polonais eux-mêmes, conscients de jouer leur vie, de leur nationalité polonaise, et leur propre camouflage sous la nationalité d'emprunt des autres autochtones de l'Est de leur Etat occupé et annexé par l'URSS.
Rétablir une lecture exacte
C'est ainsi que l'on arrive très souvent à l'explication de la différence de chiffres entre diverses sources. Par exemple, en juin-juillet 1940, le rapport polonais remis à Londres en 1941 par la Résistance estime les déportés à 400 000. Alors que des sources citées récemment donnent le chiffre de 240 000, et que le NKVD annonce 78 000 Polonais "déplacés". On sait aujourd'hui que cette déportation a été organisée de concert par le NKVD et la Gestapo à Zakopane, dans les Tatras près de Cracovie, dans le cadre des réunions de "travail" et d' "échanges" en hiver 1939-1940. La Gestapo a autorisé ses collègues du NKVD à déporter 240 000 Polonais de Pologne occidentale, réfugiés devant l'avance allemande en Pologne orientale. Et non "en URSS", comme le disent ou l'écrivent certains en cédant à l'intoxication par la simplification, mais bien en Pologne, dans leur propre pays, avant l'agression et l'occupation soviétique. Certaines sources, ou certains chercheurs et journalistes d'aujourd'hui ne retiennent donc que le nombre de réfugiés ayant fait l'objet des accords Gestapo-NKVD. Sans mentionner les "accords Gestapo NKVD", pour occulter cet événement gênant. Pour leur part, les enquêteurs clandestins de la Résistance en 1940 qui se trouvaient sur le terrain au moment des faits et des crimes, prennent en considération aussi les 160 000 Polonais autochtones déportés avec leurs compatriotes réfugiés de l'Ouest de leur pays. Et non "fuyards", ainsi que les qualifient les archives soviétiques, afin d'introduire une connotation péjorative. En revanche, le NKVD ne reconnaît la nationalité polonaise qu'à 78 000 habitants. Soit en considérant les autres comme Ukrainiens, Biélorusses ou Juifs, automatiquement soviétiques dès l'occupation de ces territoires par Moscou, soit en camouflant, ou en faisant disparaître des rubriques, les "éléments socialement dangereux", afin d'effacer leurs traces plus facilement. C'est ainsi que des documents soviétiques, même authentiques, faussent parfois les chiffres dès l'origine.


Sources :

Petite histoire de la désinformation, Vladimir Volkoff.
Bruits : essai sur l'économie politique de la musique.
Court traité du pouvoir tyrannique. Guillaume d'Ockam.
Archives CIA
Archives Jean-Paul Ney et www.intelink.org
Archives KGB
Centre International de l’Info-Stratégie et du Renseignement
Ecole de Guerre Economique

Aucun commentaire:

Sélection du message

Edgar Cayce et la guerre civile

"Il se formera en France deux partis qui se feront une guerre à mort. L'un sera beaucoup plus nombreux que l'autre, mais ce ...