lundi, juin 20, 2005

les trentenaires

Semaine du jeudi 9 juin 2005 - n°2118 - Notre époque

Lâche l’affaire, camarade, le vieux monde est derrière toi

Le procès des baby-boomers

Ils avaient fait la révolution, balayé le vieux monde et dit merde à leurs parents. Et puis ils ont mangé leur pain blanc, soigné leur ligne et trusté les postes. Les ados rebelles des années 1960 aujourd’hui seniors triomphants seraient-ils, à leur tour, devenus de « vieux cons »?

Ca devait arriver. On les disait éteints, puérils et individualistes. On les croyait sans repères ni colonne vertébrale idéologique. Condamnés à vivre dans l’ombre de leurs glorieux aînés. Et voilà que ceux qu’on a traités de «bof génération» («Obs», 1978), de malades du «sida mental» («Fig Mag», 1986) puis d’«adulescents» (tous les médias, années 2000) bazardent politesse et autodérision pour sortir les griffes. Les trentenaires se réveillent. Bien décidés à huer leurs pères, à défaut d’avoir jamais voulu les déboulonner.
Gentiment jusqu’alors, ils avaient écouté les bonnes leçons de papa-maman, excusé leurs approximations, tenté de comprendre leurs reniements. Et puis quelque chose d’extraordinaire s’est passé, dans l’indifférence quasi générale: les trentenaires sont devenus adultes! Pendant que les télés se regorgeaient de «soirées Casimir» où quelques dizaines d’adeptes du millième degré régressaient pour grappiller un peu d’insouciance, les autres se sont installés, ont fait des enfants, ont commencé à penser par eux-mêmes – si, si, vraiment – et à critiquer sereinement leurs parents sans prendre rendez-vous chez le psy.
Coincée entre les rêves déçus de ses aînés et la radicalité sans scrupules de ses benjamins, cette génération qui se cherchait à n’en plus dormir a trouvé le chemin de l’affirmation. Chanson, cinéma, littérature, chacun à sa façon. Depuis quelques mois, les essais pullulent. Que l’analyse soit sauce «maso» à la Mara Goyet («les Souffrances du jeune trentenaire», Fayard), «réac» à la Jacques de Guillebon («Nous sommes les enfants de personne», Presses de la Renaissance) ou «délurée» à la Camille Pouzol («Génération 3.0», Privé), pour ne citer qu’eux, tous se retrouvent sur une idée: assumer d’être trentenaire dans les années 2000, au moment même où le décor se recompose, sous les effets encore timides mais bientôt massifs des départs en retraite de leurs aînés.
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C’est également le propos du pamphlet que livrent cette semaine Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau. Sous leurs airs de gentils garçons – ils précisent d’emblée «adorer leurs parents» et redouter que leur livre ne leur fasse de la peine –, ces deux journalistes instruisent sans états d’âme le procès des baby-boomers. Leur réquisitoire, caustique et drôle, renvoie la génération bénie des Trente Glorieuses, et pas seulement les soixante-huitards, à l’heure du bilan.
Accusé baby-boomer, levez-vous! Vous qui avez grandi dans la rupture avec l’ancien monde, pris d’assaut des Bastille qui ne demandaient parfois qu’à tomber êtes accusé d’avoir squatté les allées du pouvoir et verrouillé les portes. Courageux mais pas téméraire, vous avez vécu à crédit en creusant la dette et repoussé consciencieusement les réformes. Au soir de votre splendeur, vous laissez derrière vous une société précarisée et morcelée. Vos héritiers, moins bien lotis que vous, ont le sentiment d’être des «déclassés» et vous le font savoir jusque dans les urnes.
La charge est évidemment salée. Elle ne manquera pas de faire tomber de leur chaise des parents, pétris de Dolto, qui avaient cru si bien faire. Ou d’en énerver d’autres qui s’insurgeront sur l’air du «qu’attendez-vous pour mieux faire?». Plus qu’une stérile «guerre anti-vieux», ce livre a pourtant le mérite de dresser en creux le portrait d’une génération moins sage qu’elle n’en a l’air. Nous vous en livrons les principaux extraits, ainsi que quelques réactions de courageux baby-boomers. Car, il faut bien le reconnaître, ces derniers ne se sont pas bousculés pour répondre. Les éternels ados de 68 auraient-ils peur de passer pour des « vieux cons? »

En politique, ils ont tout trusté…
« La jeune génération qui devrait aujourd’hui effectuer son entrée sur la scène électorale est retenue en coulisses. Les vieux comédiens de la République se sentent bien sur les planches, merci pour eux! Aujourd’hui, plus d’un député sur deux appartient aux trentenaires élus en 1981, au mépris de toutes les règles de la représentativité. Au nom de quoi les élus de cette décennie dorée trustent-ils les travées de l’Assemblée nationale alors que les Français nés dans les années 1950 ne représentent que 12% de la population française? […]
Prenez la délégation française au Parlement européen. De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, nos partis politiques ont envoyé… deux trentenaires dans les hémicycles de Strasbourg et de Bruxelles! Au petit jeu de la moyenne d’âge des députés européens, la France arrive… 22e, juste devant l’Estonie, Chypre et le Luxembourg.
On ne va pas manquer de nous opposer le sempiternel argument massue; si les jeunes sont absents du débat, c’est qu’il n’y a plus personne pour prendre le relais! […] [Mais] être trentenaire aujourd’hui, c’est avoir appris la politique en plein délire des années 1980, celui où les hommes politiques se vendaient en quatre par trois dans les rues. Adieu les programmes, bonjour Séguéla! Le samedi soir, la classe politique, forcément "câblée", comme disait Mitterrand à Mourousi, se bousculait pour pousser la chansonnette chez Patrick Sébastien. De quoi nous forger une belle conscience civique! […]
Faute de représentativité des différentes générations, la décision publique s’affadit et perd sa légitimité. Heureusement, le cauchemar s’achève. C’est prévu pour 2007. Les jeunes vont enfin débarquer sur le devant de la scène, promettent les couvertures des hebdomadaires politiques. Les jeunes? Mais oui, voyons: Hollande, Sarkozy, Villepin, Strauss-Kahn… Tous quinquagénaires!»

Mais leurs idées sont périmées
« Les intellectuels de cette génération n’ont jamais su appréhender les événements de ces dernières années, qu’il s’agisse de la montée du Front national, de l’échec de Jospin… ou du succès de la trash TV, car rien de tout cela ne relevait de leurs propres schémas. Ce monde qui se cabre est une nouveauté à laquelle ils n’entendent plus grand-chose. Alors ils pestent parce que, selon eux, ils incarnent à tout jamais la rébellion et la contre-culture, la jeunesse de l’esprit et la politique autrement! Persuadés d’avoir toujours raison, ils sont les seuls à ne plus voir rien venir. […]
Nous aurions tant aimé que cette génération, celle de nos parents, donne naissance à des grandes figures intellectuelles, aussi illustres que celles qui se sont affirmées après guerre. Max Gallo posait cette question dès 1983: "Où sont les Malraux? Où sont les Gide, les Alain, les Langevin d’aujourd’hui?" Las, on les attend toujours. […] Les figures des années 1970 ont apparemment compris qu’il valait mieux convoiter une chaise chez Pivot qu’une chaire au Collège de France.»

Ils prennent toujours leurs enfants pour des écervelés…
« Adolescents, nous étions déjà caricaturés par la dessinatrice préférée des baby-boomers, Claire Bretécher. Elle avait croqué notre génération sous les traits d’Agrippine, boutonneuse et ingrate, avachie du matin au soir, et qui ne s’enthousiasme que lorsqu’elle échange des borborygmes affligeants avec ses copines adeptes de la "novlangue", la langue des "d’jeunes"! Agrippine, c’est la "bof génération" à elle toute seule, mollassonne se laissant porter par les événements. […]
Nous avons eu 15-20 ans et c’était à notre tour de battre le pavé. Nous étions des mômes qui s’opposaient à la réforme Devaquet, nous avions épinglé les petites mains ouvertes et colorées de "Touche pas à mon pote" et enroulé un keffieh autour du cou. Nous étions jeunes et sincères, cela valait-il de se faire traiter de génération contaminée par un "sida mental" ou de "masse insignifiante ou angélique"? Oui, nous avons été méprisés à l’époque. Nous voulions copier nos aînés de 68, sans en avoir ni le charisme ni la fraîcheur […]!
Aujourd’hui les choses n’ont pas fondamentalement changé. Les trentenaires sont encore "ceux qui n’ont rien compris". Nous serions une génération perdue, sans aucun repère ni la moindre base intellectuelle. Et, là encore, nos aînés aimeraient tant qu’on leur ressemble! Ils aimeraient tant que l’on s’enflamme à la dernière livraison de Philippe Sollers ou qu’on éclate de rire aux dessins de Cabu…»

…Car ils se croient jeunes pour l’éternité
« Il y a trente ans, Michel Polnareff était assez drôle et insolent. Aujourd’hui, devant cette photo digne de David Hamilton, on hésite. Les plus indulgents y voient la marque d’un rebelle jamais apaisé, les autres sont gênés. Pour tout dire, ils trouvent Polnareff, les fesses à l’air, en couverture de "Paris Match" dans son édition du 16 septembre 2004, un peu ridicule. Limite grotesque. Un papy de 61 ans qui veut passer pour le même jeunot qu’il était autrefois, à l’époque où il montrait son cul à la France entière…
Les rôles se sont inversés ces dernières années. Les jeunes, désormais, ce sont les baby-boomers. […] Le senior éclatant n’a pas d’âge, il entretient le doute. Photogénique, habillé de noir – ça mincit! –, le prototype du mec en pleine force de l’âge, c’est Sami Frey! ou Pierre Arditi! ou Jean-Michel Jarre! ou Alain Chamfort! ou Julien Clerc! Cette génération dorée refuse le temps qui passe. C’est un phénomène naturel qui la dépasse et qu’elle n’accepte pas […]. Et dans ces conditions, les trentenaires n’ont qu’assez peu d’occasions d’éclore, voire d’évoluer. On les conforte dans un statut de semi-ados idolâtrant Casimir, ce qui permet aux parents de ne pas vieillir. Nous, les trentenaires, on compte pour du beurre. A leurs yeux, nous sommes encore un peu minots, mal dégrossis, et n’avons pas l’expérience.»

Pour eux, des retraites en or…
« La réforme des retraites, c’est du Spielberg! Les baby-boomers ont joué à se faire peur. Pendant toute la durée des négociations, ils ont fait trembler leurs semblables. Et puis ils sont finalement passés entre les gouttes. En effet, la réforme de 2003 pouvait jouer sur trois données fondamentales: la durée des cotisations, leur montant ainsi que celui des pensions. C’est la première solution qui a été choisie. Le simple fait d’évoquer une plus juste répartition de l’effort entre ceux qui cotisent et ceux qui touchent leur pension a paru complètement incongru. Ainsi les baby-boomers ont réussi à se faufiler tout entiers dans les derniers wagons de retraités heureux: ils partiront à 60 ans et n’auront aucun problème de financement de leurs pensions. […] Bienheureux parents gâtés! Vous êtes tellement vernis que la société tout entière va maintenant se mettre à votre apaisant diapason. En plus, vous êtes pleins aux as! Le pouvoir d’achat des plus de 50 ans est supérieur de 30% à celui des générations cadettes. C’est tout de même la meilleure garantie pour se faire chouchouter, non?»


…Mais pour leurs enfants, des jobs de merde
« ça devient dur de terminer sa maîtrise quand seul le McDo vous tend les bras à la sortie de la fac. Ce n’est pas qu’une caricature: en 1998, plus de 100000 trentenaires étaient au chômage et 100000 autres étaient "sous-utilisés" […]. Quand nous étions petits, au début des années 1980, c’étaient les travaux d’utilité collective qui faisaient peur. Nous allions nous retrouver employés pour pas cher à faire pas grand-chose. Las, les TUC sont morts et enterrés. Mais la génération CDD se porte à merveille! Là encore (quelle chance!), nous expérimentons les "nouvelles formes d’organisation du travail" […]. Quant aux salaires, les études les plus pointues révèlent aujourd’hui, dans une quasi-indifférence, un phénomène qui sapera le moral des derniers optimistes. Il y a trente ans, un fils gagnait à peine 20% de moins que son père. Aujourd’hui, à poste égal, l’écart est de 40%. C’est la répartition des richesses entre générations qui est totalement chamboulée. Les trentenaires sont mieux formés mais beaucoup moins bien payés: vous y comprenez quelque chose? […] Pour la première fois dans l’histoire de la France contemporaine, la situation économique et sociale des enfants est pire que celle des parents.»

Même au lit, ils la ramènent…
« Hier, nos parents baby-boomers étaient persuadés qu’ils avaient tout vu en sortant de la projection du film "Le sexe qui parle", et ils pensaient que l’on ne dépasserait jamais les partouzes dessinées par Lauzier. […] Vous avez toujours tout idéalisé, chers parents, et c’est bien normal, c’était votre jeunesse, et la découverte de la sexualité était un choc, pour vous comme pour toutes les générations qui vous ont précédés et celles qui vous suivront. Mais pourquoi donc faut-il que la vôtre ait été tellement plus "révolutionnaire"? […] Comme toujours, selon vos vieilles habitudes, vous en avez fait un mythe, et vous n’entendez pas écouter ceux qui vous disent que d’autres jeunes, aujourd’hui, vivent le même mythe, avec la même ardeur: ce sont vos enfants! […] Vous souhaitez, jusque sur ce terrain-là, nous filer des complexes, mais pour nous, au lit, tout va bien, merci!»

…Et en musique, ils ont tout inventé
« La musique est à peu près le seul domaine où l’on entend parler de "génération de trentenaires". Notre seule existence reconnue. Mais ici aussi, sur ce minuscule îlot, cet espace dont nous disposons, il semble bien que l’on gêne! Car, voyez-vous, les baby-boomers sont tout, sauf disposés à écouter les nouveaux venus. On les entend sans cesse pérorer sur l’air du "on a tout inventé". […] Au passage, on émettra nous aussi quelques réserves sur les grands succès de l’époque bénie de la fin des sixties et des années 1970. Car, pour être honnête, la portée culturelle des textes serinés par les yé-yé nous laissent pantois, pour ne pas dire sans voix. Même les Beatles! Un jour ou l’autre, il faudra bien reconnaître que "Michèle ma belle sont des mots qui vont très bien ensemble…" a quelque chose d’un peu surévalué, non? […] Ils nous ont refilé des complexes pendant toutes ces années. Ils nous ont dit que Léo Ferré, Brassens, Brel, Montand, Reggiani et Boris Vian, ça avait de la gueule! Et on répond oui, bien sûr. On applaudit même. Seulement, il ne s’agit pas de la génération des baby-boomers, mais de celle de nos grands-parents! Et nous on les adore! Pour ce qui est des quinquas un peu mûrs, on retiendra France Gall et Sheila, Antoine et Richard Anthony… et nous sommes moins amateurs.»

Après eux, le déluge…
« Depuis quelques mois, c’est la panique. A longueur d’articles, on s’inquiète des énormes problèmes rencontrés par les patrons de PME qui ne trouvent pas de repreneurs? Le phénomène est très inquiétant parce qu’en France une entreprise sur deux met la clé sous la porte dans les cinq années qui suivent sa reprise! La plupart du temps, l’entreprise périclite parce que le témoin est mal passé. Soit le chef d’entreprise n’a pas trouvé le jeune repreneur adéquat. Soit, ce qui est beaucoup plus courant, le futur retraité n’a absolument pas anticipé son départ. […] Si l’on ne fait rien, c’est une bombe sociale qui explosera dans moins de dix ans: les PME constituent le plus grand gisement d’emplois de l’Hexagone. Depuis quelques mois, on réfléchit concrètement aux moyens d’améliorer les reprises par les jeunes entrepreneurs. […] C’est au bord du gouffre que les "plus tout à fait jeunes" et les "déjà seniors" vont s’entendre. Mieux vaut tard que jamais!»
© Michalon

«Génération 69. Les trentenaires ne vous disent pas merci!», par Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau, Editions Michalon, 173 p., 15 euros.

Matthieu Croissandeau Anne Fohr Isabelle Monnin


http://www.nouvelobs.com/articles/p2118/a270828.html

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